Doping-Prävention / Antidoping
Patrick Laure: La prévention des conduites dopantes : la voie de l’éducation
Patrick Laure stellte seinen Präventionsansatz, der sich über die Erziehung junger Menschen Erfolge verspricht, 2011 in diesem Aufsatz dar und zur Diskussion. Gleichzeitig gibt er darin eine Überblick über die Entwicklungsgeschichte der Doping-Prävention in Europa.
Der Text erschien in deutscher Übersetzung in
Dannemann/ Meutgens/ Singler (Hg.); Sportpädagogik als humanistische Herausforderung, Aachen 2011.
Die Veröffentlichung wurde cycling4fans^/doping-archiv.de vom Autor erlaubt. Vielen Dank.
Die deutsche Übersetzung ist >>> hier zu finden.
La prévention des conduites dopantes : la voie de l’éducation
Avec l’invocation des puissances divines ou magiques, la consommation de substances compte parmi les plus anciens moyens de l’Homme pour améliorer ou préserver ses performances physiques, mentales, voire sociales.
Les plantes aux vertus stimulantes constituent l’essentiel de l’arsenal destiné, depuis la nuits des Temps, à répondre aux mieux à ses besoins fondamentaux : se nourrir et se loger. À l’aube du XIXe, les chercheurs en extraient les principes actifs, comme l’éphédrine à partir de l’éphédra, ou la cocaïne à partir des feuilles de coca. Puis, ils les synthétisent et les produisent à grande échelle. Enfin, en intervenant directement sur les molécules, ils les modifient et créent des substances entièrement artificielles, comme les amphétamines et certaines hormones stéroïdes.
Dès lors, la logique change et l’emprise sur les corps se fait plus incisive. Il ne s’agit plus seulement de donner un coup de pouce à un organisme fatigué, mais de faire appel aux biotechnologies de pointe pour le reprogrammer et le plier aux différentes contraintes de l’entraînement sportif ou aux charges de travail.
Parallèlement, les effets indésirables liés à ces pratiques marquent et meurtrissent les chairs des usagers impénitents, quand ils ne les tuent pas. Aussi, à partir du XIXe siècle, les professionnels de la santé se saisissent-ils de la question. Leurs interrogations ne portent pas tant sur la pertinence de ces pratiques que sur la nature des produits à utiliser : quels seraient les plus efficaces et les moins dangereux pour la santé? Puis, vers le début du XXe ils s’inquiètent des mesures à prendre pour limiter le nombre d’usagers. En particulier dans le monde du sport, où ces consommations, dénommées « doping » puis « dopage », sont réputées attenter aux valeurs traditionnelles comme l’égalité des chances ou la victoire due au seul effort, à la seule abnégation, du sportif. Parmi ces mesures, la prévention est regardée comme efficace grâce à une modification de comportement des intéressés.
L’objectif de ce texte est d’explorer les perspectives des actions ayant pour objectif de prévenir la consommation de substances aux fins de performance.
Dopage ou conduites dopantes ?
Dans le monde du sport, il faut attendre l’adoption du Code mondial antidopage, en 2003, pour bénéficier d’une définition commune, acceptée et employée à la fois par le mouvement olympique, les fédérations sportives internationales et les gouvernements, voire par les instances chargées de sa prévention.
Cette définition s’applique aux seuls sportifs et se fonde sur une liste de substances et de méthodes interdites, annuellement mise à jour. Le cœur de la définition est donc représenté par le produit, dont la seule nature est qualifiante. Par ailleurs, le dopage est l’objet d’un jugement de valeur défavorable dans la communauté sportive, qui le regarde volontiers comme un « fléau », le « nouveau mal du siècle » ou le « cancer du sport ». Une posture qui ne favorise pas nécessairement son analyse avec toute la sérénité et la prise de distance voulues.
Une conduite dopante est un comportement de consommation de substance pour affronter un obstacle réel ou ressenti par la personne ou par son entourage aux fins de performance. Dans cette définition :
– La nature de la substance importe peu, bien qu’il s’agisse surtout de médicaments, de stupéfiants ou de compléments alimentaires. Dans le cadre sportif, le produit peut donc être interdit ou pas ;
– L’obstacle est une difficulté placée sur le parcours de la personne (examen scolaire, entretien d’embauche et autre compétition sportive). Il peut être réel (un concours d’admission très sélectif), ou perçu (la prise de parole en public). Dans ce dernier cas, la perception est le fait de la personne ou de son entourage (parents, collègues de travail, entraîneurs, coéquipiers, professionnels de la santé) ;
– La performance est la réalisation d’une fonction en situation ordinaire, dans le contexte de la vie courante, c’est-à-dire dans l’environnement physique et social habituel de la personne. Elle ne se réduit pas à un exploit sportif. La substance agit soit en augmentant un élément favorisant la performance (mémoire, masse musculaire), soit en diminuant un élément négatif (anxiété, fatigue).
Depuis 2000, ce concept est utilisé en France dans des rapports et des documents d’information et de prévention du ministère de la Santé et des Sports, de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, etc. Il a fait l’objet de communications dans différents pays européens, nord- et sud-américains.
Des conduites répandues et dangereuses ?
Avant d’envisager les différentes actions de prévention du dopage et des conduites dopantes, il convient d’aborder, même rapidement, deux des principales raisons données pour les justifier : elles sont répandues dans la société et elles s’avèrent dangereuses pour la santé.
Des conduites répandues
Dans le domaine du dopage des sportifs, il existe un grand nombre d’études de nature épidémiologique qui décrivent et analysent la prévalence de ces consommations, au moins chez les amateurs. Dans celui des conduites dopantes, le degré de connaissance est un peu moindre. En effet, l’usage de substances aux fins de performance n’est pas réglementé dans le monde civil – exception faite de la consommation des stupéfiants – et il passe volontiers pour être un facteur de productivité. Il n’est donc pas, ou rarement, jugé problématique et le besoin de l’étudier dans la population générale ne s’est guère imposé aux chercheurs. De plus, c’est un sujet difficile à explorer parce qu’il repose sur la double notion de performance et de comportement, deux entités dont la perception varie selon les personnes. Ainsi, lorsqu’on parle de « dopage » à un sportif, celui-ci sait de quoi il retourne, même s’il n’a de la liste des substances interdites qu’une connaissance vague ou partielle. En revanche, les « conduites dopantes » n’évoquent en général pas grand chose, ou parfois trop de choses, tant sont multiples les situations d’usage de produits et leurs représentations, et les produits eux-mêmes. Dès lors, les chercheurs sont souvent contraints de restreindre leur champ d’investigation à des domaines « parlant », comme la fatigue ou l’anxiété, puis de dénombrer les substances consommées pour y faire face et l’environnement dans lequel elles sont été utilisées (travail, vie familiale, université, enjeu de l’obstacle à affronter, présence d’un soutien social, etc).
Des conduites dangereuses ?
Les études scientifiques ou médicales sont relativement muettes quant à la morbidité, voire la mortalité, liées aux produits consommés aux fins de performance. Seuls quelques dizaines de cas cliniques rapportent des effets indésirables majeurs ou mortels, la plupart survenus chez des sportifs (culturisme, cyclisme, football, etc).
Cela ne signifie pas que ces consommations soient exemptes de dommages pour la santé. On pressent d’ailleurs qu’elles ne le sont pas quand on connait la nature de certaines substances ou la façon dont elles sont parfois utilisées: par exemple la testostérone, un stéroïde anabolisant, est administrée jusqu’à 500 fois la dose maximale qu’un médecin prescrirait à des fins thérapeutiques. Simplement, il n’existe pas, à ce jour, de dénombrement à grande échelle de leurs effets indésirables dans le contexte des conduites dopantes, sportives ou non.
L’argument du danger pour la santé a, malgré tout, été brandi dans le sport par les médecins dès les années 1930, car l’usage et l’abus de stimulants en vogue à l’époque, comme la strychine ou l’arsenic, était rendu responsable d’un grand nombre d’incidents ou d’accidents, en particulier dans des disciplines de fond. Ainsi, le praticien berlinois Heinz Heitan, dans le contexte politique particulier que l’on connait, n’hésite pas à déclarer en 1931 (Heitan 1931): « Un sportif amateur qui utiliserait des produits encourt des risques, car tous présentent des inconvénients ou peuvent s’avérer nuisibles à la santé ». Un peu plus tard, Lord Burghley, membre du Comité International Olympique (CIO) représentant la Grande-Bretagne, explique à ses collègues la pratique, les moyens et les effets du doping lors de la session du 9 juin 1937, à Varsovie (CIO/IOC 1937). D’ailleurs, un rapport de la Société des Nations, une préfiguration de l’Organisation des Nations Unies, publié en 1939, affirme : « Il faut proscrire l’usage de tout produit pouvant entraîner une excitation artificielle et comporter un risque d’intoxication ou d’incitation à fournir de gros efforts (Boje 1939) ».
Les arguments et les tactiques pour éviter le dopage
Les prémices de la prévention du dopage dans le sport humain se situent dans les années 1950. Elles reposent sur deux principes fondamentaux, entretemps repris dans le Code Mondial Antidopage : la santé des sportifs et l’éthique du sport.
Les substances consommées à des fins de performance sont considérées comme autant de facteurs mettant en danger l’édifice sportif soutenu par ces deux piliers : effets indésirables pour la santé, non respect des adversaires, violation des règles et de l’égalité des chances, etc. Elles seront d’ailleurs inscrites au pilori d’une liste spécifique – communément dénommée « liste des produits dopants » – et interdites dès le milieu des années 1960.
Il est intéressant d’observer qu’à cette époque déjà, certains estiment que la prévention du dopage ne doit pas être restreinte au seul milieu sportif, car il s’agit d’un « problème éducatif et humain qui met en cause l’ordre social tout entier (Vivre 1960) ».
Dans ce contexte de propositions et de mises en garde contre le dopage, le Comité d’Education Extra-Scolaire du Conseil de l’Europe lance à Madrid en 1963 un appel solennel contre le dopage, avec notamment le souci de préserver la santé des jeunes sportifs. Il sera repris un an plus tard par les participants au Séminaire International sur le Dopage, organisé en Belgique par l’UNESCO. Par la suite, si de nombreuses réunions internationales confirment la nécessité d’interdire le dopage, elles insistent aussi sur l’intérêt de le prévenir en priorité auprès des jeunes sportifs.
Dans les années 1960, des actions de prévention sont lancées dans différents pays, en particulier en Europe. Leur but n’est pas toujours clairement explicité, mais il peut se résumer en « il faut éviter le dopage des (jeunes) sportifs. ». Plus problématique est le fait que ces actions ne répondent à aucun objectif précis, par exemple : diminuer de 15 %, en une année, le nombre de sportifs qui recourent à des substances interdites. Dès lors, définir un public à cibler en particulier est difficile et surtout, l’évaluation finale est impossible. Sauf à n’évaluer que l’efficience des actions, c’est-à-dire déterminer si les moyens mis en œuvre correspondent bien à ceux qui étaient prévu par le cahier des charges… Toutefois, ces actions s’inscrivent plutôt bien dans le contexte de la prévention de l’époque. En quelque sorte, on se trouve dans « l’urgence du faire » et le sentiment qui prévaut est l’absolu nécessité de prendre, très vite, des mesures.
Différentes tactiques sont développées dans ce but, dont les deux principales sont la tactique de la peur et la tactique du bien et du mal.
La tactique de la peur
Deux hypothèses principales fondent la tactique de la peur : 1) les sportifs sont des personnes rationnelles et 2) ils ne disposent pas des informations nécessaires à adopter un comportement adapté.
Les différentes actions consistent donc en la diffusion de messages diabolisant plus ou moins le dopage à travers les dangers pour la santé qu’il est susceptible de provoquer. Les promoteurs de ces actions estiment, à partir des hypothèses ci-dessus, qu’une amélioration du degré de connaissance des méfaits des substances doit entraîner un rejet du dopage parmi ceux qui y recourent déjà et ceux qui seraient tentés de le faire.
Or, on l’ignorait à l’époque, la seule information, y compris lorsqu’elle augmente les connaissances – ce qui n’est pas toujours le cas –, n’incite pas systématiquement à modifier son comportement pour le rendre favorable à sa santé. Voire, elle peut induire l’inverse de l’effet attendu !
La tactique de la peur n’a donc pas été aussi efficace qu’on aurait pu l’attendre. Le recours à différents modèles explicatifs des comportements de santé en fournit les raisons principales :
• Les dangers pour la santé liés aux substances ne préoccupent pas les sportifs qui se dopent, sauf si ceux-ci sont ont une action rédhibitoire immédiate sur la performance. C’est particulièrement vrai chez les adolescents, dont la majorité a du mal à se représenter l’altération de leur santé, surtout à long terme.
• L’exposition volontaire à un danger est parfois attirante, surtout chez les adolescents et les sportifs, dont le goût du risque et de l’expérimentation est connu (Le Breton 1991). Décrire les effets indésirables des produits pourrait donc, justement, les rendre d’autant plus fascinant (Brun 1994) et pousser à leur usage, ne serait-ce qu’une fois « pour voir ».
1968 Ministère de la Jeunesse et des Sports:
Qu’est-ce que le doping?
L’importance du sport, actuellernent, est telle que le débutant, venu par goût, aspire très vite à devenir un champion. Si, après une défaite, on Iui assure que « l’essentiel n ‚est pas de vaincre mais de pratiquer „, il sait bien que ce n’est que pour le consoler d’une relative ou totale rnédiocrité: les idées généreuses du début de notre siècle sont largernent oubliées par certains, et même ceux qui ont la charge de conseiller se préoccupent davantage de victoires que de participatian.
Si la classe du débutant est soupçonnée, celui-ci sera pris en main et préparé à ses futures réussites. Sinon, il sera livré à lui-même, ce qui explique ses déceptions, son abdication ou ses efforts pour découvrir Ia «bonne recette». Les champions, les médecins sportifs, reçoivent des demandes de conseils – ces conseils qui n’ont pas été prodigués – et le jeune n’hésite pas a se demander queIs sont les produits pharmaceutiques les plus efficaces pour I’effort.
Ce ne sont pas de simples paroles sur la morale sportive er sur la santé qui combattront efficacement l’éffet des préjugés et des «conseils.» C’est surtout pour défendre ces jeunes qu’une loi a été mise au point par M. Maurice HERZOG, alors Secrétaire d’Etat à la Jeunesse et aux Sports et votée à l’unanimité par l’Assemblée Nationale. … Cette action immédiate par la répression et cette oeuvre de longue haleine par l’éducation, supposent toute une organisation. La surveillance rnédicale de l‘ entraînement et l’examen du sujet sur le terrain sont aussi nécessaires qu’une consultation dans un centre rnédical.
La tactique du bien et du mal
En partant de l’hypothèse selon laquelle les substances sont efficaces, c’est-à-dire qu’elles permettent d’atteindre les objectifs que leurs usagers se sont fixés (vaincre, ne pas être à la traîne, tenir son rang, etc.), et en se référant au noyau commun des valeurs prônées par la communauté sportive, le jugement porté sur le dopage lui est défavorable : « Ce n’est pas bien ! »
En d’autres termes, celui-ci constituerait une violation de l’égalité des chances entre sportifs, une source de non-respect des concurrents voire de soi-même, une possibilité de victoire artificielle et autre infraction aux règles (voire à des lois (1)). Autant de messages diffusés auprès des pratiquants, valorisant l’aspect noble d’une approche sans artifice, d’une part, et fustigeant l’emploi de procédés contraire aux valeurs sportives, d’autre part. Par exemple (Graillot 1992): « Le recours à des produits dopants n’est-il pas en contradiction avec la loyauté sans la¬quelle l’idée même de compétition sportive confine à l’absurdité ? ».
Toutefois, dès le milieu des années 1960, certains praticiens se demandent si brandir l’étendard de l’éthique sportive sur le champ du sport constitue, en soi, un outil efficace pour réduire les consommations de substances (Vaille 1966).
Et d’aucuns d’aller plus loin en retournant contre les promoteurs d’actions de prévention leurs propres arguments au nom de l’éthique. Par exemple:
• Qu’il ne saurait être envisageable de sanctionner l’usage de produits dopants (Fost 1986);
• Que les contrôles antidopage, en particulier les tests inopinés hors compétition, ne sont pas défendables eu égard au préjudice causé aux sportifs en s’immisçant dans leur vie privée (Schneider/Butcher/Lachance 1994).
(1) En 1965, la Belgique et la France sont les deux premiers pays au monde à se doter d’une loi antidopage. Ils resteront longtemps les seuls (Belgique : loi du 2 avril 1965, interdisant la pratique du doping à l’occasion des compétitions sportives. France : loi n°65-412 du 1er juin 1965, tendant à la répression des stimulants à l’occasion des compétitions sportives).
L’Education au lieu de la Santé ?
Le panel des tactiques utilisées en prévention du dopage montre la difficulté à trouver des modalités pratiques susceptibles d’entraîner une modification de comportement ou d’attitude. Ce qui n’est pas spécifique au domaine du dopage.
Pourtant, il existe des situations au cours desquelles un nombre considérable de personnes ont changé très vite une de leurs habitudes de vie. Par exemple, en 1996, en pleine crise dite « de la vache folle », quand les chercheurs montrent que cette maladie est transmissible à l’homme, d’innombrables consommateurs rejettent la viande de bœuf, dont le marché s’effondre.
Différentes hypothèses ont été avancées pour rendre compte des tensions observées entre les actions de prévention et leurs (manque d’) effets : objectifs des actions peu clairs, manque de cohérence entre les actions contre le dopage et d’autres actions de prévention, public visé peu concerné, etc. mais aussi références inadaptées (ex : « danger », « interdiction ») et autres outils insuffisants (ex : l’information seule). Il a également été relevé une approche qualifiée de « négative » par rapport à la santé ou aux comportements : « ce n’est pas bien de… », « il ne faut pas faire… ». Enfin, il a été noté que certaines actions sont trop enfermées dans un thème donné, comme le dopage ou la nutrition, ce qui contribue à leur multiplication auprès d’un public qui en conçoit parfois quelque lassitude.
Aussi, l’approche « sanitaire » des actions de prévention, voire de l’éducation pour la santé, cède-t-elle de plus en plus souvent le pas à une approche « éducative ».
L’Education
Le but de l’éducation est de donner aux individus la possibilité de développer leur potentiel, leur personnalité et leurs aptitudes particulières. Toute personne, enfant, adolescent ou adulte, doit donc pouvoir bénéficier d’une formation conçue pour répondre à ses besoins éducatifs fondamentaux, où il s’agit (2):
• D’apprendre à connaître : savoir résoudre un problème, prendre des décisions, en mesurer les conséquences…
• D’apprendre à faire : cuisiner, se laver, écrire, lire…
• D’apprendre à vivre ensemble : savoir communiquer, s’affirmer, négocier, écouter…
• D’apprendre à être : avoir conscience de soi, savoir gérer le stress…
Ces différentes compétences, jugées nécessaires dans la vie courante, comprennent des capacités pratiques (savoir écrire, savoir faire la cuisine) et des capacités intrinsèques (savoir prendre une décision, savoir s’affirmer). Ces dernières constituent les compétences psychosociales.
Les compétences psychosociales fondamentales
L’Organisation Mondiale pour la Santé (OMS), avec le concours de l’UNICEF, a déterminé dix compétences psychosociales fondamentales et universelles (WHO 1997). C’est-à-dire que toute personne, quels que soient son pays ou sa culture d’origine, devrait pouvoir en bénéficier:
• Savoir résoudre les problèmes – savoir prendre des décisions.
• Avoir une pensée créatrice – avoir une pensée critique.
• Savoir communiquer efficacement – être habile dans les relations interpersonnelles.
• Avoir conscience de soi – avoir de l’empathie pour les autres.
• Savoir gérer son stress – savoir gérer ses émotions.
Selon l’OMS : « Les compétences psychosociales sont la capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne ». Pour cette organisation, quand un comportement défavorable à la santé est lié à une incapacité à répondre efficacement au stress et aux pressions de la vie, le développement des compétences psychosociales peut constituer un élément important de promotion de santé.
Les compétences psychosociales et la prévention
Les compétences psychosociales pourraient devenir une pierre angulaire de la prévention. Leur développement serait le socle commun des actions, auquel serait ajoutée une information circonstanciée, fonction de l’âge du public et des thèmes de santé (tabac, conduite dopante, rapport sexuel, etc). De plus, renforcer les compétences, comme l’affirmation de soi ou la pensée critique, relève d’une approche éminemment positive.
Enfin, les actions de développement des compétences ont montré leur efficacité pour réduire les comportements délinquants, violents ou criminels chez les jeunes (Englander-Goldern et al. 1989), diminuer les troubles émotifs (McConaughy et al. 1998), améliorer le contrôle de la colère (Deffenbacher et al. 1996), diminuer les comportements sexuels à risque (grossesse, sida) (Kirby et al. 1994, Zabin et al. 1986) ou encore retarder l’âge de la première prise de tabac, alcool et autres substances (Caplan et al. 1992, Errecart et al. 1991, Hansen et al. 1988). Et, récemment, pour prévenir les conduites dopantes auprès des jeunes sportifs (Laure et al. 2009).
(2) Voir: Déclaration mondiale sur l’éducation pour tous (Jomtien, 1990) – Déclaration universelle des droits de l’homme (Paris, 1948) – Convention relative aux droits de l’enfant (ONU, 1989).
Une prévention en questions…
La prévention des conduites dopantes pose bien des questions, dont certaines ont déjà été évoquées par ailleurs. Par exemple la légitimité d’interventions qui visent à empêcher des personnes d’adopter, par l’usage de substances, des comportements d’évitement de l’échec.
Deux problématiques supplémentaires seront posées ici.
Depuis une à deux décennies, on observe une prise de conscience, de la part des promoteurs comme des acteurs de terrain, que les actions de prévention, et au sens plus général celles d’éducation ou de promotion de la santé, réclament « savoir » et « savoir-faire » : connaissance de la santé et des problèmes à prévenir, maîtrise de modèles explicatifs des comportements, élaboration de programmes, emploi d’outils, etc. Ces « savoirs » sont de plus en plus pointus.
De plus, parce leur cible se composent de l’Homme et de la Femme et de leurs conduites, ces actions nécessitent aussi un « savoir–être » très développé : humanisme, empathie, etc. Mais celui-ci est, ô combien, plus difficile à acquérir et à entretenir que les connaissances théoriques et techniques.
Ne risque-t-on pas, au nom de l’efficacité, donc de la recherche de la performance (3), de céder à la tentation d’une prévention robotisée menée par des acteurs à haut niveau de technicité, voire de technologie, mais dénués d’âme ?
Quant au développement des compétences psychosociales, si différentes publications en soulignent l’intérêt, comme cela a été évoqué plus haut, d’autres mettent en doute son efficacité (Gorman 2005). Et certains d’insinuer que ce concept pourrait même être détourné à d’autres fins que la promotion de la santé, par exemple pour inciter des jeunes à fumer du tabac (Mandel et al. 2006).
La question du sens, ou de la signification, du développement des compétences psychosociales comme un outil de promotion de santé prend donc toute son importance.
En se référant à la sociologie classique, on pourrait formuler l’hypothèse que ce développement relève d’une logique de l’action correspondant à des mécanismes d’intégration. Ceux-ci sont à l’œuvre dans toute société (le caractère « universel » et transculturel des dix compétences fondamentales de l’OMS), mais ne paraissent pas pour autant être identifiables à la société dans son ensemble.
Dès lors, comme le propose François Dubet, l’identité d’un acteur devient un aspect de l’intégration du système (Dubet 1994), c’est-à-dire la façon dont il a intériorisé les valeurs institutionnalisées à travers des rôles. En d’autres termes, ces acteurs se représentent la société comme un édifice dont les valeurs communes sont la clé de voute. Une posture importante dans le monde du sport, où les valeurs tiennent une place fondamentale (Laure 2008). Dans cette logique, l’éducation – y compris l’éducation pour la santé, devient un système d’appropriation de valeurs qui assure, certes, l’identité, mais aussi l’ordre. Ainsi, un acteur qui serait malhabile dans ses relations interpersonnelles, ou dénué d’esprit créatif ou critique, ou qui gérerait mal son stress (autant de compétences psychosociales), pourrait constituer un facteur de trouble de l’ordre car il aurait une probabilité plus élevée d’adopter des conduites sociales inadaptées. Comme de se doper.
En ce sens, le développement des compétences psychosociales dans le champ éducatif ou sanitaire participerait au maintien de l’ordre social et de l’identité des acteurs. Peut-on encore parler de prévention à des fins de santé ?
(3) Rappelons que la performance est aussi, par un amusant caprice, le déterminant des conduites dopantes.
Littérature
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